Le théâtre représente le champ d'exécration, borné à gauche par la porte Colline et les remparts de Rome; à droite par le cirque de Flore et le temple de Vénus Ericine. On voit au fond le mont Quirinal, au sommet duquel s'éleve le temple de la Fortune. Sur la porte du champ on lit Sceleratus ager. On remarque sur la scene trois tombes de forme pyramidale: deux sont fermées d'une pierre noire, sur laquelle on lit en lettres d'or le nom de la vestale qu'elle renferme, et le millésime de sa mort. La troisième, destinée à Julia, est ouverte; un escalier conduit dans l'intérieur.
Scene premiere.
LICINIUS, seul et dans le plus grand désordre.
Qu'ai-je vu! quels apprêts! quel spectacle d'horreur!
Mon ame s'abandonne à toute sa fureur.
Un aveugle transport me guide,
La terre frémit sous mes pas.
Allant vers la tombe ouverte.
Le voilà ce gouffre homicide
Qui doit dévorer tant d'appas!
Air.
Julia va mourir! .... Non, non, je vis encore,
Je vis pour défendre ses jours;
Contre des dieux cruels qu'en vain le faible implore,
L'amour, le désespoir me prêtent leur secours.
Scene II.
Licinius, Cinna.
LICINIUS.
Cinna, que fait l'armée?
CINNA.
Il n'en faut rien attendre.
On gémit, on te plaint, on n'ose te défendre.
LICINIUS.
Les lâches!
CINNA.
Tout le camp semble glacé d'effroi.
Mais pour mourir auprès de toi,
Je t'amene à ma suite
De guerriers et d'amis une troupe d'élite;
Rassemblés en secret sur le mont Quirinal,
De ton ordre avec eux j'attendrai le signal.
LICINIUS.
O digne ami!
LICINIUS.
Compte sur mon courage.
Des dangers près de toi j'ai fait l'apprentissage.
Air.
Ce n'est plus le temps d'écouter
Les vains conseils de la prudence:
Mon bras, tu n'en saurais douter,
S'arme toujours pour ta défense.
Les dieux peuvent sur nous
Appesantir leur main puissante;
Mais tout l'effort de leur courroux
N'a rien dont mon cœur s'épouvante.
Il n'est pas au pouvoir du sort
De rompre le nœud qui nous lie,
Et le jour témoin de ta mort
Verra le terme de ma vie.
Mais avant de tenter un combat inégal,
Du pontife suprême invoque la puissance.
LICINIUS.
De ce prêtre cruel l'aveuglement fatal
A de mon triste cœur banni toute espérance.
CINNA.
Seul, il peut, détournant la colere des dieux,
Arracher la vestale au sort qu'on lui destine.
LICINIUS.
Il doit se rendre ici.
CINNA.
De la porte Colline
Je le vois s'avancer dans ces funestes lieux;
Je te laisse avec lui.
Il sort.
Scene III.
Licinius, Le Souverain Pontife, Le Chef des Aruspices.
LICINIUS.
D'un sacrifice affreux
L'appareil se prépare:
Victime d'une loi barbare,
La beauté, la jeunesse est livrée aux bourreaux,
Et vivante descend dans la nuit des tombeaux.
LE PONTIFE.
Tel est l'ordre des dieux.
LICINIUS.
Cependant leur clémence
Peut laisser à ta voix désarmer leur vengeance.
Je viens pour Julia réclamer ton appui.
LE PONTIFE.
Quoses-tu demander, quand l'état aujourd'hui,
Quand le salut de Rome exige une victime?
LICINIUS.
Le salut des états ne dépend pas d'un crime.
LE PONTIFE.
Ces tristes monuments te disent que jamais
Vesta n'a pardonné de semblables forfaits.
LICINIUS.
Romulus en naissant bravait ta loi fatale;
Mars lui donna le jour au sein d une vestale.
LE PONTIFE.
Julia doit mourir.
LICINIUS.
Elle ne mourra pas.
LE PONTIFE.
Les dieux demandent son trépas:
Qui pourrait s'opposer à leur ordre suprême?
Qui pourrait à leurs coups la soustraire?
LICINIUS.
Moi-même.
LE PONTIFE.
Téméraire, quel crime oses-tu concevoir?
LICINIUS.
Connais-moi tout entier, connais mon seul espoir.
Je suis sou amant, son complice;
Et je dois l'arracher ou la suivre au supplice.
LE PONTIFE.
Tu périras sans la sauver:
Contre un pouvoir divin, que tu prétends braver,
Ta gloire est une arme frivole.
La roche Tarpéienne est près du Capitole.
Duo.
LICINIUS.
C'est à toi de trembler:
Dans ma juste colere,
Mon bras peut ébranler
Ton autel sanguinaire.
LE PONTIFE.
C'est à toi de trembler;
Le ciel a son tonnerre.
LICINIUS.
Si Julia périt, redoute mes transports.
LE PONTIFE.
Les dieux arrêteront tes criminels efforts.
LICINIUS.
J'ai des amis que ma fureur anime:
Nous couvrirons ces champs de morts,
Et nous sauverons la victime.
LE PONTIFE.
Tremble, tremble, tes vains efforts
Ne sauveront pas la victime.
Ensemble.
LICINIUS.
C'est à toi de trembler.
Dans ma juste colere,
Mon bras peut ébranler
Ton autel sanguinaire.
Si Julia périt, redoute mes transports:
Je veux qu'un horrible hécatombe
Signale ces moments affreux,
Et j'immolerai sur sa tombe
Toi, tes prêtres cruels, et moi-même après eux.
LE PONTIFE.
C'est à toi de trembler:
Ta fureur téméraire
Ne saurait m'ébranler;
Le ciel a son tonnerre.
Les dieux arrêteront tes criminel efforts:
Ils ont accepté l'hécatombe;
Et, pour satisfaire à tes vœux
Bientôt ici sur cette tombe
Tes amis périront, et toi-même avec eux.
Licinius...