Lundi Gras
L'appartement de messer Giacomo Balducci au tomber de la nuit. Sur le devant, à gauche, une table entre deux fauteuils à dossier. Deux portes: une à gauche, une au fond. A droite, une fenêtre. La nuit augmente graduellement.
Scene I
Balducci, Teresa.
Teresa regarde par la fenêtre: Balducci entre par la porte du fond, achevant de s'habiller.
Introduction.
BALDUCCI.
Teresa ... mais où peut-elle être?
Thérèse ... à la fenêtre!
Je l'ai pourtant bien défendu;
N'avez-vous donc pas entendu?
Pour prendre l'air l'heure est fort belle
Depuis un siècle que j'appelle.
Le pape m'attend ... mon bâton,
Mes gants, ma dague, et ce carton ...
Teresa prend tour à tour ces objets sur la table et les lui présente.
C'est à damner un saint, un ange!
En vérité, c'est bien étrange
Que le pape ainsi dérange
Un trésorier soir et matin
Pour Cellini, ce libertin,
Ce paresseux, ce Florentin!
Aussi pourquoi, notre saint père,
Prendre en Toscane un ciseleur,
Quand vous aviez votre sculpteur
Fieramosca, dont c'est l'affaire?
Il sort.
TERESA.
Enfin il est parti,
Tout de bon, ... je respire,
Ouf ... quel ennui!
C'était un vrai martyre.
Chœur de masques au dehors.
BALDUCCI, rentrant.
D'où vient ce bruit?
TERESA.
O Dieu! serait-ce lui!
Cellini, Francesco, Bernardino et masques au dehors.
Tra la la la
De profundis!
Carnaval père
Ce soir enterre
Un de ses fils!
Mais soyez sages,
O grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs;
Homme ni femme
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!
BALDUCCI.
A ma porte quel, tapage!
C'est Cellini, je le gage,
Avec ses mauvais sujets:
Prenons garde à ses projets.
Il s'approche de la fenêtre et reçoit une grêle de fausses dragées qui lui couvrent le corps et le visage de taches blanches.
Cellini, Francesco, Bernardino et le chœur de
masques.
Vive la joie!
Les morts sont morts;
Dieu nous envoie
Un joyeux corps,
Un gai compère
Encor plus gras
Que feu son frère;
Ne pleurons pas.
Ensemble.
BALDUCCI.
Ah! marauds! infâme engeance!
C'est sa bande, l'insolent!
Me couvrir ainsi de blanc
Lorsqu'il faut qu'en diligence
Je me rende au Vatican!
Va, de toi j'aurai vengeance
Quelque jour, maudit Toscan!
BALDUCCI, à Teresa qui éclate de rire.
Oui, riez, la belle affaire!
Pour changer il est trop tard,
Ah! grand Dieu! chez le saint père
J'aurai l'air d'un léopard!
Teresa s'approche de la fenêtre à son tour et reçoit une pluie de fleurs.
Ensemble.
BALDUCCI.
C'est bien lui, je vais descendre!
Misérable, ose m'attendre!
C'est ce fat, votre enjoleur!
Moi l'épine, et vous la fleur!
Lui Cellini, lui mon gendre!
Mille fois plutôt me pendre!
Ah! malheur à lui, malheur!
Ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Ose m'attendre,
Gueux à pendre!
TERESA.
Oui, c'est lui, c'est votre gendre!
Croyez-vous me faire prendre
Un mari contre mon cœur?
Renoncez à cette erreur,
Colombine est à Léandre;
Moi la femme de Cassandre!
Ah! malheur à lui, malheur!
Cellini, Francesco, Bernardino et le chœur de masques.
De profundis!
Carnaval père
Ce soir enterre
Un de ses fils!
Mais soyez sages,
O grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs;
Homme ni femme
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!
Scene II
TERESA, seule.
Parmi les fleurs qu'on vient de lui jeter elle ramasse un bouquet.
Les belles fleurs ... un billet ... Cellini!
Quelle imprudence ...
Elle lit.
Eh quoi! venir ici?
Ce soir même ... Ah! grand Dieu! mais mon père
Est bien loin, et l'instant est propice ... Que faire?
Air
Entre l'amour et le devoir
Un jeune cœur est bien à plaindre,
Ce qu'il désire il doit le craindre,
Et repousser même l'espoir.
Se condamner à toujours feindre,
Avoir des yeux et ne point voir,
Ah! comment le pouvoir?
Un jeune cœur est bien à plaindre
Entre l'amour et le devoir.
Quand j'aurai votre âge,
Mes chers parents,
Il sera bien temps
D'être plus sage;
Mais à seize ans
Ce serait dommage.
Oh! dès qu'à mon tour
Je serai grand'mère,
Alors, laissez faire!
Malheur à l'amour!
Scene III
Teresa, Cellini.
TERESA.
J'entends quelqu'un monter ...
Cellini! ...
CELLINI.
Teresa! ne fuyez pas...