Intérieur d'une taverne allemande. Au fond, à droite, en pan coupé, grande porte donnant sur la rue. A gauche, en pan coupé, une fenêtre à petits vitraux. Dans le milieu un large enfoncement rempli de tonneaux symétriquement rangés autour d'un tonneau colossal surmonté d'un petit Bacchus tenant une banderole qui porte cet exergue: Au Tonneau de Nuremberg. Au-dessus des tonneaux s'étagent des rayons garnis de flacons de toutes formes. Devant le grand tonneau, un petit comptoir. Portes latérales, sur le premier plan, à gauche, un grand poêle; à droite, une horloge de bois et une petite porte cachée dans la boiserie. Cette boiserie s'étend sur la muraille, tout autour de la salle à hauteur d'homme. Çà et là, des tables et des bancs.
Scène première
Esprits
Il fait nuit; la scène est éclairée par un rayon de lune.
Chœur Invisible.
LES ESPRITS DE LA BIÈRE.
Glou! glou! glou! glou! je suis la bière.
LES ESPRITS DU VIN.
Glou! glou! glou! glou! je suis le vin.
TOUS LES ESPRITS ENSEMBLE.
Glou! glou! glou! nous sommes
Les amis des hommes;
Nous chassons d'ici
Langueur et souci.
Glou!
Scene II
Le conseiller Lindorff, Andrès.
LINDORF, entrant, suivi d'Andrès.
Le conseiller Lindorf, morbleu! C'est moi qui suis
Le conseiller Lindorf! ... Ne crains rien et me suis.
N'as-tu pas pour maîtresse
La Stella, cette enchanteresse?
ANDRÈS. Oui.
LINDORF.
Qui vient de Milan ...
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
Traînant sur ses pas
Nombre d'amoureux, n'est-ce pas?
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
C'est à l'un d'eux, je gage,
Que tu portes ce message?
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
Je te l'achète.
ANDRÈS.
Bon.
LINDORF.
Dix thalers!
ANDRÈS.
Non!
LINDORF.
Vingt! Trente!..
Andrès ne répond pas. – A part.
Parlons-lui sa langue.
Levant sa canne.
Quarante!
ANDRÈS.
Oui! ...
LINDORF, lui donnant de l'argent et prenant la lettre.
Donne, et va-t'en au diable!
ANDRÈS.
Oui! oui!
Il sort.
LINDORF, regardant la suscription de la lettre.
Voyons: »pour Hoffmann«, bon ... je m'en doutais! ô femmes
Voilà les maîtres de vos cœurs!
Voilà de vos âmes
Les heureux vainqueurs!
Un poète! ... un ivrogne! ... enfin! passons! ...
Il ouvre la lettre, en tire une petite clef et lit.
»Je t'aime! ...
Si je t'ai fait souffrir, si tu m'aimes toi-même,
Ami, pardonne-moi,
Cette clef t'ouvrira ma loge, souviens-toi! ...«
A lui-même.
Oui, l'on devient digne d'envie,
Quand, brisé par l'amour, on porte aux cabarets
Et ses espoirs et ses regrets!
Voilà ce qu'il vous faut! ... Eh bien! non, sur ma vie.
Dans les rôles d'amoureux
Langoureux
Je sais que je suis pitoyable;
Mais j'ai de l'esprit comme un diable,
Comme un diable! ...
Mes yeux lancent des éclairs,
Des éclairs! ...
J'ai dans tout le physique
Un aspect satanique
Qui produit sur les nerfs
L'effet d'une pile électrique,
Electrique! ...
Par les nerfs j'arrive au cœur
Je triomphe par la peur,
Par la peur! ...
Oui, chère prima donna
Quand on a
La beauté parfaite
On doit dédaigner un poète,
Un poète!
De ce boudoir parfumé,
Parfumé,
Que le diable m'emporte
Si je n'ouvre la porte!
Mon rival est aimé,
Je ne le suis pas, que m'importe?
Que m'importe?
Sans parler du positif.
Je suis vieux, mais je suis vif!
Je suis vif!
Il regarde sa montre.
Deux heures devant moi! ... Si j'ai bonne mémoire,
C'est dans ce cabaret, qu'avec de jeunes fous
Hoffmann vient deviser et boire!
Surveillons-le jusqu'au moment du rendez-vous!
Scène III
Lindorf, Luther, Garçons.
LUTHER, entrant, suivi de ses garçons.
Vite! vite! qu'on se remue!
Les brocs! les chopes, les quinquets!
Les toasts vont suivre les bouquets
Et souhaiter la bienvenue
A cet astre du firmament!
Vivement, garçons, vivement!
Les garçons achèvent de préparer la salle. La porte du fond s'ouvre: Nathanaël, Hermann, Wofframm, Wilhelm et une troupe d'étudiants entrent gaiement en scène.
Scène IV
Lindorf, Luther, Nathanael, Hermann, Étudiants, Garçons de Taverne.
CHŒUR DES ÉTUDIANTS.
Drig! drig! drig! maître Luther,
Tison d'enfer,
Drig! drig! drig! à nous ta bière,
A nous ton vin,
Jusqu'au matin
Remplis mon verre,
Jusqu'au matin
Remplis les pots d'étain!
NATHANAEL.
Luther est un brave homme;
Tire lan laire!
C'est demain qu'on l'assomme;
Tire lan la!
LE CHŒUR.
Tire lan la!
Les étudiants frappent les gobelets sur les tables.
LUTHER, allant de table en table avec les garçons et servant les étudiants.
Voilà,...