Même décor.
Scène I
Jeannette, La Tante, Bertrand.
Tous trois entrent en s'essuyant les yeux.
LA TANTE. Oui, c'est ta faute; oui, c'est ta faute: sitôt que tu l'as vu si fâché, que ne lui as-tu dit que cela n'était pas vrai?
JEANNETTE. Est-ce qu'on ne m'avait pas défendu de le dire?
LA TANTE. Oui, mais ensuite, ensuite ...
JEANNETTE. Il ne m'a seulement pas laissé commencer la chanson.
LA TANTE. Eh bien, il fallait toujours lui dire.
BERTRAND. C'est vous qui avez voulu tout cela. Oui, c'est vous qui êtes la cause de sa mort.
LA TANTE. La cause de sa mort! Ah! ciel! peux-tu dire une pareille chose? La cause de sa mort!
BERTRAND. Oui, il est bien temps.
LA TANTE. Et toi, grand lâche, grand misérable que tu es, quand on te dit de courir après lui, tu fais semblant d'y aller.
BERTRAND. C'est moi qui étais le marié: est-ce que je pouvais quitter?
LA TANTE. Ah! fusses-tu à sa place!
BERTRAND. A sa place! Ah! je n'aurais pas fait comme lui: je me serais informé à tout le monde.
LA TANTE. Ah! ciel! ah! je le pleurerai, je le pleurerai toute ma vie, oui, toute ma vie ... Quoi! ce pauvre Alexis ...
JEANNETTE. Eh! marraine, ne pleurez donc pas comme ça.
BERTRAND. Ah! le voici.
LA TANTE. Comme il est changé!
BERTRAND. Comme il est triste!
Alexis descend les marches.
Scène II
Jeannette, Alexis, La Tante, Bertrand.
LA TANTE. Ah! mon cher Alexis, je suis au désespoir.
ALEXIS. Bonjour, ma tante, bonjour.
LA TANTE. Je te demande pardon: c'est nous, c'est moi qui suis la cause de tout ça.
BERTRAND, indifféremment. C'est moi qui étais le marié.
JEANNETTE. J'ai voulu vous le dire: n'est-il pas vrai que vous m'avez dit que vous me tueriez?
ALEXIS. Ne parlons plus de cela, c'est un malheur. Où est Louise? et pourquoi son père n'est-il pas ici?
LA TANTE. Ah! son père! son père! le voilà qui arrive dans le village. Il était en pleurs, il se jetait par terre; il se frappait la tête. Il ne veut pas se relever: nous sommes tous à gémir. Si on pouvait te racheter avec de l'argent, nous donnerions tout, jusqu'à nos hardes.
BERTRAND. Moi, je n'ai rien; mais je donnerais tout ce que j'ai.
ALEXIS. Et madame la duchesse sait-elle cela?
LA TANTE. Nous y avons tous couru; elle n'est pas au château.
BERTRAND, presque gaiement. Ah! au château, la belle noce qu'elle te préparait!
ALEXIS. Et Louise, l'avez-vous vue?
LA TANTE. Non.
BERTRAND. On ne sait où elle est.
ALEXIS. Osoi! personne n'est avec elle? Ah! il lui sera arrivé quelque malheur.
JEANNETTE. Non, je l'ai vue courir: je l'ai appelée, elle ne m'a pas répondu.
ALEXIS. Ah! ma tante, consolez-la, ne la quittez pas: vous ne pouvez plus me rendre aucun service. Vous perdez votre neveu.
LA TANTE. Je te perds! ah! quel malheur!
ALEXIS. Qu'elle soit votre nièce, je vous en prie. Elle devait l'être.
LA TANTE. Je te le promets.
ALEXIS. Eh! comment a-t-elle pu consentir à ce cruel badinage?
LA TANTE. Elle ne le voulait pas; elle s'écriait: Moi, à sa place, j'en mourrais. Mais madame la duchesse l'avait ordonné, et son père et moi nous l'y avons forcée.
JEANNETTE. Et puis, elle disait comme ça: Il ne le croira pas, il ne le croira pas.
ALEXIS. C'est vrai, je ne devais pas le croire.
BERTRAND. Oui, oui, c'est bien vrai, tu ne devais pas le croire.
ALEXIS. Partez, ma tante, partez; tâchez de m'envoyer Jean-Louis. Si Louise ... si Louise veut me voir encore, venez avec elle, et ne la quittez pas.
LA TANTE. Oui, mon cher Alexis.
ALEXIS. Promettez-le moi.
LA TANTE. Je te le jure .... Ah! ciel!
JEANNETTE, qui est allée à la droite de Bertrand, à part. Est-ce que c'est pour aujourd'hui?
BERTRAND, à part. On dit comme ça que c'est pour quatre heures.
ALEXIS. Adieu, ma tante ... adieu, mon enfant ...
Elles sortent après avoir embrassé Alexis.
BERTRAND, s'avançant en pleurant très-fort. Adieu, mon cousin ... Pleurant. Porte-toi bien.
Il sort; et comme, pour pleurer, il se cache la figure dans son mouchoir, il se heurte contre le geôlier qui entre.
Scene III
Le Geolier, Alexis.
LE GEOLIER. Tenez, voilà une plume et de l'encre: la plume est bonne, et voilà du papier blanc. Il pose le tout sur la table de gauche, et s'approche d'Alexis. Il y en a pour six sous. Qui est-ce qui me payera?
ALEXIS. Voilà un petit écu.
LE GEOLIER. C'est bon: je vous rendrai ... je vous rendrai ... Voilà Montauciel.
Il sort au moment où rentre Montauciel.
Scène IV
Alexis, Montauciel.
MONTAUCIEL. Soit, me voilà prêt. Voyant qu'Alexis se dispose à écrire. Ah! ah! vous allez écrire? vous êtes bien heureux, vous savez écrire, vous. Ah! déluge! ah! mort! ah! sang! ah! que je suis un grand malheureux!
ALEXIS, assis. Qu'avez-vous?
MONTAUCIEL. Ce que j'ai? le diable, le diable, puisqu'il faut vous le dire. Que diriez-vous d'un misérable, d'un coquin comme moi; brave homme d'ailleurs. Comment, morbleu, il y a cinq ans que j'aurais eu la brigade si j'avais su lire. A la compagnie on est dérangé: on boit avec l'un, on boit avec l'autre. Je me fais mettre en prison afin d'avoir un quart d'heure à moi pour apprendre; et d'aujourd'hui, d'aujourd'hui, morbleu, Montauciel n'a pas étudié. Ah! malheureux! ah! coquin! ah! scélérat!
ALEXIS. Eh bien, étudiez.
MONTAUCIEL. Vous avez raison. Voilà de l'écriture qu'un de mes camarades m'a faite; car je suis déjà avancé: j'épelle mes lettres.
Alexis se met à écrire. Montauciel cherche à lire ce
qui est écrit sur un papier qu'il tire de sa poche.
Ariette.
V, o, u, s, e, t, et te
Trompette, trompette.
B, l, a, n, c, b, e, c,
Blessé, trompette blessé.
Maudit l'infernal
Faiseur de grimoire,
Dont l'esprit fatal
Mit dans sa mémoire
Tout ce bacchanale!
Sans cette écriture
Et sans la lecture
Ne peut-on, morbleu!
Manger, rire et boire,
Marcher à la gloire
Et courir au feu?
ALEXIS, se levant. Camarade, ne pouvez-vous étudier plus bas?
MONTAUCIEL. Non, car je ne m'entendrais pas; mais...